La nuit, en France, est un écosystème étrange et fascinant, où se côtoient rêves d’unité et rivalités féroces. Ceux qui ont grandi dans cette scène se souviennent d’un temps où la musique semblait, d’une certaine manière, représenter quelque chose de plus grand que le profit ou la notoriété. Aujourd’hui, le paysage nocturne français s’organise — ou plutôt se disloque.
Entre les clashs officieux des promoteurs qui, dans un instant de courage, appellent les autorités sur leurs concurrents, et les médias qui, loin de se féliciter d’avoir un regard différent sur la scène, se fixent les uns les autres comme des rivaux ou la course aux headliners qui étouffe la diversité, un constat s’impose :  Nous avons raté quelque chose en chemin.
Là où la scène originelle, celle de Detroit, s’est construite sur les bases d’une société surnommée “Murder Capital,” où les opioïdes et autres substances ont décimé bien des vies, elle a pourtant su cultiver entraide, résilience et bonne musique. Ici, la scène nocturne semble s’être construite en vase clos, chaque acteur en compétition pour grappiller sa part de lumière.
Peut-être est-ce le reflet d’une société plus fragmentée, ou simplement d’une scène qui, prise dans l’ambition de briller, a oublié son propre pouvoir de rassembler.

Cet article d’opinion est encore une fois un seul oeil sur cette problématique, mais il exprime à travers ces mots, la souffrance morale d’une absence de cohésion que nous avons profondément vécu pendant des années.

On pourrait se dire que tout cela n’est qu’un signe des temps — après tout, la nuit est aussi le terrain des affaires, où certains ne s’expriment qu’à coups d’exclusivités et de cachets prohibitifs. Mais au-delà du business, on a une question : comment se fait-il que notre scène ne parvienne pas à embrasser cet esprit communautaire qui fait pourtant l’essence de la musique électronique ?
En France, il n’est pas ici question d’absence d’initiatives. L’entraide est possible et existe mais cela reste rare, sporadique et non lucratif. Et il est légitime de se demander : a-t-on vraiment besoin d’une cause pour activer cet esprit de communauté ? Peut-être que ce qui nous manque ici, c’est simplement l’empathie de base — celle qui transcende les affiches de soirées et qui pousse à voir les nuits comme plus qu’une simple opportunité de profit.

Commençons par le mauvais, histoire de décharger notre aigreur

Loin de l’énergie “happy” que l’on associe souvent aux nuits tech, les backstages de la scène cachent des réalités bien plus âpres. Commençons par les promoteurs — dont certains semblent croire qu’une soirée ne peut vraiment briller qu’en éteignant les lumières d’en face. Si l’on pouvait mesurer le degré de fraternité de la scène à l’aune des appels à la police passés entre concurrents, on atteindrait des sommets. Mais, c’est le jeu, diront certains.

Et puis il y a les cachets vertigineux, les exclusivités, les stratégies marketing, les contrats en béton armé qui font tourner la machine. Mais en réalité, la scène s’asphyxie, et ceux qui tentent de se frayer un chemin se retrouvent souvent contraints de payer pour de la visibilité ou de quémander une place. Le prix pour exister dans sa propre scène est devenu exorbitant et le paiement obligatoire.

Dans cet écosystème où les enjeux commerciaux dictent trop souvent la direction artistique, les agences de booking et de management jouent un rôle central. Ces structures engorgent de nouveaux artistes chaque mois, non pas pour enrichir la scène, mais pour maximiser leur rotation et leurs profits. C’est une machine bien huilée : plus d’artistes, plus de bookings, plus de cachets. Mais quel est l’objectif, sinon gonfler les recettes ? Et au nom de cette rentabilité, certaines agences camouflent des agressions, ferment les yeux sur des comportements problématiques, et vont jusqu’à menacer des médias ou de jeunes activistes, sachant que le manque à gagner serait trop grand si elles perdaient leurs têtes d’affiche.
Il faut être clair : le business ne sera jamais un moteur de la communauté s’il profite uniquement aux mêmes. Comment peut-on encore oser parler d’une scène “safe” et “inclusive” lorsque nous recréons, dans nos nuits, les mêmes hiérarchies et divisions sociales que celles que nous fuyons en dansant ?

Quant aux headliners, beaucoup semblent avoir oublié leur engagement d’antan : les premiers publics, clubs, les premières critiques, les petits livestreams. Aujourd’hui, à mesure que les zéros s’accumulent, on les retrouve davantage sur les podiums de défilés ou dans les grands médias subventionnés qui décident de ce qui est “in.” Leur regard se tourne ensuite vers l’international, faisant certes rayonner notre scène, mais surtout gonflant un peu plus l’égo et le porte monnaie.

Enfin, le manque de cohésion entre les médias renforce cet isolement. Plutôt que de célébrer la pluralité des voix et de bâtir un écosystème où chacun peut trouver sa place, c’est la course et la compétition. Une triste ironie, quand on sait que cette scène musicale est née d’un désir d’union et de partage. Si seulement cette solidarité pouvait être plus qu’un hashtag ou un argument marketing.
D’expérience personnelle, je me souviens de tant de tentatives pour créer des espaces de cohésion avec d’autres médias. Souvent, la réponse a été un mur fermé à double tour. Peut-être que mes idées n’étaient pas les bonnes, mais l’isolement ressenti, lui, est bien réel. Mais parfois cela fonctionne aussi très bien, un grand clin d’oeil aux team Nightmess, Meet&Greet, Guettapen, Tsugiradio, Bloodytek, pour ne lister que les français. Et les autres, on vous aime quand même. 

Là où Détroit nous met une claque (et pas que musicale)

Quand on échange avec des artistes comme Mark Flash, Cornelius Harris (l’itw vidéo sort bientôt on vous le promet), ou DJ Bone, une vérité éclate : la communauté est plus qu’un mot à la mode. À Detroit, cette notion fait partie de l’ADN de la scène. Loin des clichés de l’underground romantisé, ce sont des artistes qui, en coulisses, soutiennent les jeunes, organisent des collectes pour les pompiers, assos de mamans (ouioui 🥹) et tendent la main et leurs profits aux sans-abris.
Et si on re-traverse l’atlantique on retrouve un autre genre d’engagement dans les années 80 au Royaume-Uni avec la vibe acid suite à la politique de Thatcher. Ils rappellent ce qu’est une véritable scène musicale : un espace où l’on se soucie de ceux qui en font partie, au-delà des profits et de l’image. L’activisme est visible, tangible mais ne profite qu’à celles et ceux qui en ont vraiment besoin.
Et ça change tout.

Alors oui, en France, il existe bien des initiatives qui réchauffent le cœur, passées comme présentes, comme celles de la Flêche d’or, Fée Croquer ou Afro Queer Rising, mais elles demeurent sporadiques.

À quel moment a-t-on perdu de vue cette essence même de la nuit ? Là où la scène devrait être un refuge, un espace où chacun peut se sentir accepté, elle est bien trop souvent accaparée par des intérêts commerciaux ou des jeux d’ego entre programmateurs artistiques, chacun clamant avoir un meilleur goût que l’autre.

La nuit, réflecteur de la société

Et c’est ici qu’on touche du doigt l’essentiel. Nos nuits, bien plus que des échappatoires, sont des miroirs de notre société. Dans le bon comme dans le mauvais. Dans un club, des gens de milieux et d’origines divers se retrouvent et partagent un moment sans jugement. C’est un espace où les communautés minoritaires ou marginalisées trouvent un répit, où elles peuvent se sentir en sécurité, du moins pour un temps. Mais cette sécurité, cette sensation d’appartenance, ne peut exister que si ceux qui organisent, créent, et financent ces espaces s’engagent pour autre chose que leurs profits.

Car voilà le problème : aujourd’hui, la nuit appartient au business. Faire de l’argent n’a rien de répréhensible en soi, mais quand ceux qui en profitent le plus ne font rien ruisseler en retour, cela devient un vrai souci. Les petits clubs ferment, les jeunes artistes peinent à percer, et les producteurs se retrouvent à gratter leurs derniers sous pendant que les DJ stars et les plateformes de streaming accumulent les revenus. La communauté, elle, est laissée pour compte.

Quand les grandes marques détiennent les “bonnes” initiatives

Étrangement, les initiatives les plus inspirantes dans notre scène viennent souvent de marques qui ne font pas l’unanimité. Prenons Red Bull Music Academy : un modèle qui, malgré les critiques, a posé de nouvelles bases pour soutenir les talents émergents, offrant aux artistes non seulement des moyens, mais aussi un environnement de créativité et de collaboration unique. Ce concept nous inspire aujourd’hui pour notre prochain bootcamp pour DJs, un projet dans lequel nous cherchons à reproduire cette démarche de partage et de professionnalisation.

Plus récemment, des initiatives comme “Save the Night” de Jägermeister ont aussi tenté de soutenir la scène en période de crise. Pourtant, elles soulèvent des questions — cette campagne est pilotée par une marque d’alcool, un produit qui, au niveau mondial, cause des ravages et des dépendances. Et pour ajouter à la controverse, des accusations de favoritisme, notamment autour de Peggy Gou et d’un ami prétendument mis en avant (d’après certaines sources), viennent encore ternir cette démarche.

Alors, pourquoi ces marques ont-elles le monopole des initiatives bien financées et perçues comme positives ? La réponse est simple : elles disposent de moyens quasi illimités pour modeler une image “sauveuse” de la culture, même si leurs intérêts premiers sont ailleurs. Cet afflux d’argent crée un déséquilibre, reléguant les initiatives indépendantes au second plan et fragilisant les efforts communautaires qui, eux, se battent sans le soutien des grands capitaux. Cela pose la question : peut-on vraiment considérer ces initiatives comme bénéfiques, ou sont-elles un écran de fumée masquant un problème plus profond ?

Où est la solution ?

Alors, que faire ? La solution miracle, soyons honnêtes, bah on l’a pas. Mais peut-être qu’un premier pas serait de travailler ensemble et de revoir la manière dont les revenus sont distribués. Il est aberrant que dans une même soirée, le headliner soit payé parfois 100 fois plus que les DJs locaux qui ouvrent et ferment la soirée. Peut-être qu’un effort pour rendre les entrées plus accessibles ferait la différence (oui on radote et on arrêtera pas). Plus de quinze euros pour une entrée, cela reste élevé pour beaucoup, et si certains ont de lourds coûts, nous savons aussi, en soumsoum, ce que gagnent certains clubs et promoteurs.

Au final, tout cela demande simplement un peu d’empathie, de casser la logique de l’activisme d’image. C’est peut-être l’heure de recréer des liens sincères avec le public, de s’ouvrir aux réalités de ceux qui viennent danser, de comprendre les difficultés de leurs quartiers et leurs défis quotidiens. Ce n’est pas de la politique, ni même du militantisme. C’est simplement une reconnaissance que l’esprit de communauté n’est pas une option. C’est le socle même de la scène, et si nous voulons que notre scène survive et prospère, il est grand temps de raviver cette flamme communautaire.

à vos idées, à vos initiatives présentes ou passées, à nos engagements envers vous <3 

ENGLISH

Nightlife in France is a strange and fascinating ecosystem, where dreams of unity coexist with fierce rivalries. Those who grew up within this scene remember a time when music seemed to represent something greater than profit or fame. Today, the French nightlife landscape is structured—or rather fractured.

Between under-the-table clashes among promoters, who occasionally show courage by calling the authorities on their competitors, and media outlets who, rather than appreciating each other’s unique perspectives, see each other as rivals, or the headliner race that stifles diversity, one thing is clear: we lost something along the way.

Unlike the original Detroit scene, which was built in a city nicknamed “Murder Capital,” where opioids and other substances ravaged lives, yet managed to cultivate mutual support, resilience, and great music, our nightlife seems to have developed in a closed circle, with each player vying for their share of the spotlight. Is it a reflection of a more fragmented society, or just a scene that, in its quest for the limelight, has forgotten its own power to unite?

This opinion piece offers only one perspective on the issue, but through these words, it expresses the moral weight of a lack of cohesion we have deeply felt for years.

We could say this is just a sign of the times—after all, nightlife is also a business arena, where some express themselves only through exclusivities and prohibitive fees. But beyond business, there’s a question: why is it that our scene struggles to embrace that sense of community, which is, after all, the essence of electronic music?

In France, it’s not a matter of lacking initiatives. Collaboration is possible and does happen, but it remains rare, sporadic, and non-lucrative. It’s fair to ask: do we really need a cause to ignite this spirit of community? Perhaps what we lack is simply basic empathy—the kind that transcends event flyers and pushes us to see nightlife as more than just a profit opportunity.

Let’s start with the bad, just to get our bitterness out of the way.

Far from the “happy” energy often associated with nightlife, the backstage realities are much harsher. Let’s start with the promoters—some of whom seem to think their events can only shine by dimming the lights of others. If we could measure the scene’s fraternity by the number of police calls competitors make against each other, we’d reach new heights. But hey, it’s all part of the game, some would say.

Then there are the soaring fees, the exclusivities, the marketing strategies, the ironclad contracts that keep the machine running. In reality, the scene is suffocating, and those trying to make their way often end up having to pay for visibility or beg for a chance. The price of existing within the scene has become exorbitant, and payment is mandatory.

In this ecosystem where commercial stakes too often dictate artistic direction, booking and management agencies play a central role. These structures bring in new artists each month, not to enrich the scene, but to maximize rotation and profits. It’s a well-oiled machine: more artists, more bookings, more fees. But what’s the purpose if not to inflate revenue? In the name of profitability, some agencies even cover up assaults, ignore problematic behaviors, and threaten media outlets or young activists, knowing that losing headliners would be too costly. Let’s be clear: business will never be a driver of community if it only benefits the same few. How can we still dare to talk about a “safe” and “inclusive” scene when we recreate, in our nights, the same social hierarchies and divisions we’re supposed to escape by dancing?

As for the headliners, many seem to have forgotten their former commitment: the early audiences, small clubs, initial reviews, and modest livestreams. As the zeros pile up, we find them more often on fashion runways or in major subsidized media outlets deciding what’s “in.” Their gaze shifts internationally, yes, showcasing our scene, but mostly inflating egos and wallets.

Finally, the lack of cohesion among media reinforces this isolation. Instead of celebrating the diversity of voices and building an ecosystem where everyone has a place, it’s a race and competition. It’s a sad irony, considering this music scene was born from a desire for unity and sharing. If only this solidarity could be more than just a hashtag or a marketing argument. From personal experience, I remember countless attempts to create spaces of cohesion with other media. Often, the answer was a firmly locked door. Maybe my ideas weren’t the best, but the isolation I felt was real. Sometimes, it does work very well, though—a big shout-out to Nightmess, Meet&Greet, Guettapen, Tsugiradio, just to name some French ones. And to the rest, we still love you.

Where Detroit gives us a reality check (and not just musically)

When talking to artists like Mark Flash, Cornelius Harris (the video interview is coming soon, we promise), or DJ Bone, a truth emerges: community is more than just a buzzword. In Detroit, this sense of community is woven into the very fabric of the scene. Far from romanticized underground clichés, it’s artists who, behind the scenes, support young talent, organize fundraisers for firefighters, mothers’ associations (yes, really 🥹), and extend a hand—and their profits—to the homeless.

Crossing the Atlantic again, we find another kind of commitment in the UK’s 1980s acid scene, born in response to Thatcher’s policies. They remind us of what a real music scene should be: a space that cares for those within it, beyond profits and image. Activism is visible and tangible but benefits only those who truly need it. And that makes all the difference.

Yes, in France, there are initiatives that genuinely warm the heart, past and present, like La Flèche d’Or, Fée Croquer, or Afro Queer Rising, but they remain sporadic.

At what point did we lose sight of the very essence of nightlife? Where the scene should be a refuge, a space where everyone feels accepted, it’s all too often seized by commercial interests or ego battles among artistic directors, each claiming to have the better taste.

Nightlife as a Reflection of Society

Here’s where we touch on the core issue. Our nights are more than just escapes; they’re mirrors of our society, in both the good and the bad. In a club, people from diverse backgrounds and origins come together, sharing a moment free from judgment. It’s a space where minority or marginalized communities can find a respite, a chance to feel safe—if only for a while. But this sense of security, this feeling of belonging, can only exist if those who organize, create, and fund these spaces are motivated by more than profit.

And here lies the problem: today, nightlife is owned by business. Making money isn’t wrong in itself, but when those who benefit most give nothing back, it becomes a real issue. Small clubs are closing, young artists struggle to break through, and producers scrape by while star DJs and streaming platforms rake in profits. The community, meanwhile, is left behind.

When Big Brands Own the “Right” Initiatives

Strangely enough, some of the most inspiring initiatives in our scene often come from brands that don’t have universal approval. Take Red Bull Music Academy, for instance: a model that, despite criticism, set new standards for supporting emerging talent, providing artists not only with resources but also a unique environment for creativity and collaboration. This concept inspires us today for our upcoming DJ bootcamp—a project where we aim to replicate this spirit of sharing and professional development.

More recently, initiatives like Jägermeister’s “Save the Night” have also attempted to support the scene during tough times. Yet they raise questions—this campaign is led by an alcohol brand, a product that, globally, causes harm and addiction. Adding to the controversy, accusations of favoritism, particularly around Peggy Gou and a friend allegedly given special treatment (according to some sources), have further tainted this effort.

Why do these brands hold a monopoly on well-funded, seemingly positive initiatives? The answer is simple: they have near-unlimited resources to shape a “savior” image of culture, even though their primary interests lie elsewhere. This influx of money creates an imbalance, pushing independent initiatives to the sidelines and weakening community efforts that, themselves, fight without major capital support. It raises the question: can we really view these initiatives as beneficial, or are they just a smokescreen covering a deeper problem?

Where’s the Solution?

So, what can we do? Let’s be honest, there’s no miracle solution here. But maybe a first step could be working together and rethinking how the revenue gets distributed. It’s shocking that in the same event, the headliner sometimes gets paid a hundred times more than the local DJs who open and close the night. Perhaps making an effort to keep entry fees more accessible would make a difference (yes, we’re repeating ourselves, and we won’t stop). Paying more than fifteen euros to get in remains high for many, and while some have steep costs, we also know, hush-hush, what some clubs and promoters earn.

In the end, it simply calls for a bit of empathy, to break away from performative activism. Maybe it’s time to create genuine connections with the audience, to understand the realities of those who come to dance, and to consider the struggles of their neighborhoods and daily challenges. This isn’t politics, nor activism. It’s simply recognizing that a sense of community is not optional. It’s the very foundation of the scene, and if we want our scene to survive and thrive, it’s time to reignite that communal spark.

To your ideas, to past and present initiatives, to our commitment to you <3