Une réflexion sur l'hypocrisie de critiquer David Guetta et le DJ Mag Top 100, et sur les contradictions de la scène électronique dite 'underground' face à la popularité et l'inclusivité.
Il y a une certaine agitation cyclique dans le monde de la musique électronique, une tradition presque rituelle qui consiste à décrier le classement annuel du DJ Mag Top 100.
Les réseaux sociaux s’enflamment, les forums débordent de sarcasmes, et les médias “cool” jouent les indignés.
Quelle hérésie ! Une fois de plus, la scène électronique se drape dans son manteau d’authenticité pour dénoncer ce qu’elle considère comme une trahison de ses valeurs. Mais derrière cette critique facile, ne serions-nous pas en train de masquer une hypocrisie profonde qui gangrène notre propre culture ?
Soyons honnêtes : critiquer le DJ Mag Top 100 est devenu un passage obligé pour tout amateur de musique électronique qui se respecte. J’admets avoir moi-même cédé à cette tentation, pensant défendre une certaine idée de l’underground. Mais à force de pointer du doigt, ne passons-nous pas à côté de l’essentiel ?
Le DJ Mag Top 100 est avant tout un classement de popularité. Qu’on l’apprécie ou non, il reflète les goûts d’un large public.
En 2007, le classement a été entaché par des scandales de tricherie : deux DJs (aujourd’hui blanchis) ont été disqualifiés pour avoir manipulé les votes. DJ Mag avait alors détecté des scripts informatiques permettant de générer des milliers de votes frauduleux depuis les mêmes adresses IP.
On se souvient également des iPads à Tomorrowland qui “incitaient” à voter pour Dimitri Vegas & Like Mike.
Ces incidents ont mis en lumière les dérives possibles lorsqu’on cherche à forcer la reconnaissance plutôt qu’à la mériter.
Oui, c’est le public qui vote, mais si les femmes et les BIPOC sont sous-représentées dans le classement, c’est parce qu’elles le sont également en dehors de celui-ci. Le DJ Mag Top 100 devient un bouc émissaire facile, mais il n’est pas la cause directe de ce problème. Il n’aide pas, certes, mais il est simplement symptomatique d’une culture du “boys club” qui imprègne l’industrie.
Nous savons que les dirigeants des grands médias, des marques, des plateformes de streaming, des clubs, les directeurs artistiques et les festivals sont majoritairement des hommes (et blancs). Cette homogénéité au sommet se répercute sur qui est programmé, promu et, finalement, qui gagne en popularité. Alors que beaucoup expriment à juste titre leur indignation face au manque de femmes et de personnes de couleur dans ces classements, ne devrions-nous pas également scruter les festivals et les clubs qui programment rarement ces artistes ou les sous-payent lorsqu’ils le font ?
Il est quelque peu hypocrite de mépriser le DJ Mag Top 100 tout en acceptant que la scène techno dite “underground” permette à certains DJs de demander des cachets de 100 000 euros sous prétexte que “ça vend des tickets”, tout en rejetant un classement qui ne fait que refléter le nombre de fans qu’un DJ possède. Le véritable problème réside chez les décideurs—les directeurs artistiques, les organisateurs de festivals et les cadres des médias—qui ont le pouvoir de façonner le paysage mais perpétuent souvent le statu quo.
Militer pour plus de femmes sur scène est louable, et des progrès sont réalisés. Cependant, nous atteindrons le changement plus rapidement si les femmes sont également plus nombreuses en coulisses, tirant les ficelles. Augmenter la représentation féminine dans les postes décisionnels—que ce soit en tant que responsables de labels, promotrices ou directrices—peut conduire à des programmations plus diversifiées et une industrie plus inclusive.
Dans le même registre, critiquer David Guetta est aussi à la mode. Il a pourtant récemment déclaré dans une interview avec Kiss FM UK : “Je me considère plus comme un ‘entertainer’ qu’un DJ traditionnel.” Il assume pleinement son rôle : offrir un spectacle, une expérience visuelle et sonore destinée à un large public. Il reconnaît que ses shows sont avant tout des concerts où les gens viennent pour le spectacle, pour filmer, pour vivre un moment grandiose.
On peut ne pas apprécier sa musique ou son approche, mais il mérite qu’on reconnaisse son honnêteté. Il est indéniable qu’il a contribué à populariser la musique électronique à l’échelle mondiale. Ses morceaux ont ponctué des moments de joie pour beaucoup. Qui parmi nous n’a pas un souvenir associé à l’une de ses chansons ?
Et pour ceux qui ont oublié, on vous remet une vidéo de David Guetta au Space à Ibiza : VOIR.
La musique électronique est née d’un esprit d’innovation, de partage et de rupture avec les conventions. En nous enfermant dans un élitisme stérile et en jugeant ceux qui n’adhèrent pas à nos critères, nous trahissons cet héritage. Aimer une musique plus accessible n’est pas un crime. La musique est une expérience personnelle, une émotion, un souvenir. La véritable injustice est de se fermer à la diversité des styles et des publics.
Au lieu de dépenser notre énergie à critiquer pour le simple plaisir de critiquer et de plaire aux puristes, ne devrions-nous pas nous concentrer sur des actions concrètes pour faire évoluer la scène ? Soutenir les artistes émergents, promouvoir la diversité, encourager l’innovation. Remettre en question nos propres pratiques et contradictions. Le véritable combat ne se gagne pas en accumulant les likes sur un post sarcastique. Il se mène en coulisses, en travaillant pour plus d’inclusvité, en dénonçant les inégalités là où elles se trouvent réellement—à la source.
Nous devons aborder les problèmes systémiques qui empêchent les femmes et les BIPOC de gagner en visibilité et en popularité. Cela inclut de plaider pour une plus grande diversité au sein des instances dirigeantes de l’industrie. Lorsque les femmes sont également représentées en coulisses—dans les rôles exécutifs, en tant que promotrices, en tant que décideuses—nous verrons une représentation plus équitable sur scène et, par conséquent, dans les classements de popularité.
Et surtout, rappelons-nous pourquoi nous aimons cette culture. La musique est un vecteur de plaisir, de communion et de dépassement de soi. Que nous soyons dans un club underground sombre ou sous les lumières éblouissantes d’un festival mainstream, l’essentiel est de vivre l’instant, de ressentir les vibrations et de partager des expériences uniques avec bienveillance et passion.
Cet article est une invitation à la réflexion. Il ne s’agit pas de défendre aveuglément le DJ Mag Top 100, mais de questionner nos propres attitudes et de chercher à construire une scène électronique plus authentique et inclusive.
Nos articles d’opinion ne sont pas à prendre comme des vérités immuables. Ils invitent au débat et à la réflexion au sein de notre communauté.
ENGLISH
Criticizing the DJ Mag Top 100 misses the point.
There’s a cyclical stir in the electronic music world—an almost ritualistic tradition of decrying the annual DJ Mag Top 100 ranking. Social media ignites, forums overflow with sarcasm, and “cool” media outlets feign outrage. Once again, the electronic scene wraps itself in a cloak of authenticity to denounce what it perceives as a betrayal of its core values. But behind this facile critique, might we be masking a deep hypocrisy that festers within our own culture?
Let’s be honest: Criticizing the DJ Mag Top 100 has become a rite of passage for any self-respecting electronic music enthusiast. I admit I’ve succumbed to this temptation myself, thinking I was defending a certain vision of the underground. But by constantly pointing fingers, aren’t we missing the point?
The DJ Mag Top 100 is, above all, a popularity contest. Whether we like it or not, it reflects the tastes of a broad audience. In 2007, the ranking was marred by cheating scandals: two DJs (later cleared) were disqualified for manipulating votes. DJ Mag had detected computer scripts generating thousands of fraudulent votes from the same IP addresses. We also recall reports of iPads at Tomorrowland that allegedly encouraged votes for Dimitri Vegas & Like Mike. These incidents highlighted the pitfalls of seeking recognition by force rather than earning it.
Yes, it’s the public who votes, but if women and BIPOC artists are underrepresented in the ranking, it’s because they are also marginalized outside of it. The DJ Mag Top 100 becomes an easy scapegoat but isn’t the root cause of this issue. It doesn’t help, certainly, but it’s symptomatic of a “boys’ club” culture that permeates the industry.
We know that the leaders of major media outlets, brands, streaming platforms, clubs, artistic directors, and festivals are predominantly men—and predominantly white. This homogeneity at the top affects who gets booked, promoted, and ultimately who gains popularity. While many rightly express indignation over the lack of women and people of color in these rankings, shouldn’t we also scrutinize the festivals and clubs that rarely book these artists or underpay them when they do?
It’s somewhat hypocritical to scorn the DJ Mag Top 100 while accepting that the so-called “underground” techno scene allows certain DJs to command fees of €100,000 under the pretext that “it sells tickets”, yet reject a chart that merely reflects how many fans a DJ has. The real issue lies with the decision-makers—the artistic directors, festival organizers, and media executives—who have the power to shape the landscape but often perpetuate the status quo.
Advocating for more women on stage is commendable, and progress is being made. However, we’ll achieve change more rapidly if women are also more numerous behind the scenes, pulling the strings. Increasing female representation in decision-making positions—whether as label heads, promoters, or directors—can lead to more diverse lineups and a more inclusive industry.
Let’s turn to our own national figure, David Guetta. Often the prime target of criticism, he recently stated in an interview with Kiss FM UK: “I see myself more as an entertainer than a traditional DJ.” He fully embraces his role: offering a spectacle, a visual and auditory experience aimed at a broad audience. He acknowledges that his shows are primarily concerts where people come for the performance, to film, to live a grandiose moment.
We may not appreciate his music or approach, but he deserves recognition for his honesty. It’s undeniable that he has helped popularize electronic music globally. His tracks have punctuated joyful moments for many. Who among us doesn’t have a memory associated with one of his songs? For those who have forgotten, revisiting his performance at Space in Ibiza might serve as a reminder.
Electronic music was born from a spirit of innovation, sharing, and breaking with conventions. By confining ourselves to sterile elitism and judging those who don’t adhere to our criteria, we betray that heritage. Liking more accessible music isn’t a crime. Music is a personal experience, an emotion, a memory. The real injustice is closing ourselves off to the diversity of styles and audiences.
Instead of expending our energy on criticism for the sake of pleasing purists, shouldn’t we focus on concrete actions to evolve the scene? Supporting emerging artists, promoting diversity, encouraging innovation. Questioning our own practices and contradictions. The real battle isn’t won by accumulating likes on a sarcastic post; it’s fought behind the scenes, working toward greater inclusivity, denouncing inequalities where they truly lie—at the source.
We must address the systemic issues that prevent women and BIPOC artists from gaining visibility and popularity. This includes advocating for greater diversity within the industry’s leadership. When women are equally represented backstage—in executive roles, as promoters, as decision-makers—we’ll see a more equitable representation on stage and, consequently, in popularity rankings.
And above all, let’s remember why we love this culture. Music is a conduit for joy, communion, and self-transcendence. Whether we’re in a dark underground club or under the dazzling lights of a mainstream festival, the essential thing is to live in the moment, feel the vibrations, and share unique experiences with kindness and passion.
This article is an invitation to reflect. It’s not about blindly defending the DJ Mag Top 100 but about questioning our own attitudes and striving to build a more authentic and inclusive electronic scene.
Our opinion pieces are not to be taken as immutable truths. They invite debate and reflection within our community.