L'impact des collectifs sur l'identité artistique des clubs électro et des défis pour préserver leur propre DA dans un paysage en mutation.
Il y a quelques semaines, en écoutant le podcast AllNightLong d’Abs8lute et Laureline, une question a refait surface : les collectifs ont-ils, sans le vouloir, affaibli l’essence même des clubs en matière de direction artistique ? Cette réflexion n’est pas isolée ni limitée à la France. Partout, la scène électronique voit des établissements autrefois emblématiques perdre leur identité, absorbés par la vague des collectifs qui dictent désormais la programmation.
Prenons l’exemple d’Ibiza. L’île, jadis symbole de soirées mythiques et de clubs à l’identité forte, s’appuie presque exclusivement sur des collectifs pour animer ses nuits. Des événements comme Cocoon, La Troya ou Music On ont façonné l’histoire d’Ibiza, mais cette dépendance a engendré des tensions notables. Des litiges juridiques ont éclaté entre clubs et collectifs, comme entre Music On et Amnesia, ou encore entre promoteurs. Même les institutions les plus établies ne sont pas à l’abri des remous causés par cette dynamique.
Il est indéniable que les collectifs ont apporté une nouvelle énergie à la scène électronique. Ils offrent une plateforme aux artistes émergents, et ont remis en avant des valeurs essentielles comme l’inclusivité, la RDR, l’écologie et la sécurité, et attirent une base de fans dévoués. Leur influence a permis de renouveler l’offre musicale et de proposer des expériences innovantes au public.
Les collectifs ont clairement pris le pouvoir sur les nuits parisiennes après la pandémie en investissant les clubs mais également les tiers lieux et autres endroits moins conventionnels.
Cependant, cette montée en puissance des collectifs a un revers. Les clubs qui ont nettement souffert des soirées en warehouse ont été obligés de se rapprocher des collectifs tendance pour ramener leur communauté entre leurs murs. En s’appuyant trop lourdement sur eux, nombreux sont ceux qui ont aujourd’hui perdu leur propre voix. La direction artistique, qui était autrefois le pilier central de l’identité d’un club, se voit reléguée au second plan. La programmation devient fragmentée, sans fil conducteur, ce qui peut dérouter le public et diluer l’expérience globale.
Des établissements comme le Djoon, le Kalt, le Robert Johnson, Fuse, Fabric ou le Bassiani ont réussi à naviguer dans ce paysage en mutation. Ils ont su conserver une identité forte, une vision artistique claire qui transcende les tendances éphémères. Ces clubs collaborent avec des collectifs, certes, mais sans jamais perdre le contrôle de leur programmation. Ils offrent ainsi une expérience cohérente et authentique, qui résonne avec leur public et font revivre le mot “communauté” à notre échelle.
La question qui se pose est donc la suivante : comment les clubs peuvent-ils retrouver et préserver leur identité dans un contexte où les collectifs occupent une place prédominante ? Il ne s’agit pas de rejeter ces derniers, mais plutôt de repenser la collaboration. Les clubs doivent réaffirmer leur rôle de curateurs, en intégrant les collectifs comme des éléments enrichissants de leur programmation, sans pour autant leur céder les rênes.
Au cœur de cette problématique se trouve également la figure du DJ résident du collectif. Nombreuses sont celles qui, malgré leur talent, peinent à se détacher de l’étiquette qui leur est collée : “DJ de tel collectif”. Cette association étroite peut entraver leur développement artistique personnel. Elles se retrouvent confinés dans un rôle qui limite leur exposition et leur capacité à être reconnues pour leur propre mérite. Cette “malédiction” du DJ résident soulève des questions sur la capacité des artistes à s’épanouir indépendamment des marques qui les ont mis en lumière. Les DJs résidents des collectifs devraient également être encouragés à explorer leur individualité artistique afin de contribuer à leur épanouissement et diversifier leur offre musicale.
Il est essentiel de reconnaître que la direction artistique est un métier qui nécessite une vision à long terme, une compréhension profonde du public et une capacité à anticiper les tendances. Les clubs qui réussissent sont ceux qui osent prendre des risques, qui innovent et qui restent fidèles à leur identité tout en évoluant avec leur temps.
En fin de compte, le véritable défi pour la scène électronique est de trouver un équilibre. Les collectifs et les clubs doivent travailler de concert, chacun apportant sa valeur ajoutée, pour créer des expériences uniques et mémorables. Le public, quant à lui, est en quête d’authenticité, de lieux qui racontent une histoire et qui offrent plus qu’une simple succession de sets.
La réflexion est lancée. Il appartient désormais à chaque acteur de la scène de se positionner et d’œuvrer pour que la musique électronique continue de vibrer avec la même intensité, en honorant ses racines tout en regardant vers l’avenir.
ENGLISH
A few weeks ago, while listening to the AllNightLong podcast by Abs8lute and Laureline, a question resurfaced: have collectives unintentionally weakened the very essence of clubs in terms of artistic direction? This isn’t an isolated thought, nor is it confined to France. Across the globe, the electronic scene is witnessing once-iconic venues losing their identities, absorbed by a wave of collectives that now dictate the programming.
Take Ibiza, for example. The island, once synonymous with legendary parties and clubs boasting strong individual identities, now relies almost exclusively on collectives to fuel its nightlife. Events like Cocoon, La Troya, and Music On have shaped Ibiza’s history, but this dependency has led to significant tensions. Legal disputes have erupted between clubs and collectives—such as between Music On and Amnesia—and even among promoters themselves. Not even the most established institutions are immune to the upheavals caused by this dynamic.
There’s no denying that collectives have injected new energy into the electronic scene. They’ve provided platforms for emerging artists, reinstated essential values like inclusivity, harm reduction, ecology, and safety, and have attracted a dedicated fan base. Their influence has refreshed musical offerings and introduced innovative experiences to audiences. Collectives have clearly taken the reins of Parisian nightlife post-pandemic, occupying not just clubs but also third spaces and other unconventional venues.
However, this rise of collectives comes with a downside. Clubs that significantly suffered from warehouse parties felt compelled to align with trendy collectives to bring their communities back within their walls. By leaning too heavily on them, many have lost their own voices. The artistic direction—which was once the cornerstone of a club’s identity—has been relegated to the background. Programming becomes fragmented and lacks a cohesive thread, which can confuse the audience and dilute the overall experience.
Venues like Djoon, Kalt, Robert Johnson, Fuse, Fabric, and Bassiani have managed to navigate this shifting landscape. They’ve maintained strong identities and a clear artistic vision that transcends fleeting trends. While they do collaborate with collectives, they never relinquish control over their programming. This approach offers a coherent and authentic experience that resonates with their audiences, revitalizing the concept of “community” on a relatable scale.
So, the question arises: how can clubs rediscover and preserve their identities in a context where collectives hold a dominant position? It’s not about rejecting these groups but rethinking the collaboration. Clubs need to reaffirm their roles as curators, integrating collectives as enriching elements of their programming without handing over the reins entirely.
At the heart of this issue is also the role of the resident DJ within a collective. Many talented artists struggle to shed the label of being “the DJ from that collective.” This close association can hinder their personal artistic development, confining them to a role that limits their exposure and ability to be recognized on their own merits. This “curse” of the resident DJ raises questions about artists’ ability to thrive independently of the brands that initially spotlighted them. Resident DJs should be encouraged to explore their individual artistry to contribute to their growth and diversify their musical offerings.
It’s crucial to recognize that artistic direction is a profession requiring long-term vision, a deep understanding of the audience, and the ability to anticipate trends. Successful clubs are those that dare to take risks, innovate, and stay true to their identities while evolving with the times.
Ultimately, the real challenge for the electronic scene is finding balance. Collectives and clubs must work together, each bringing their unique value to create memorable and unparalleled experiences. Audiences are seeking authenticity—venues that tell a story and offer more than just a series of sets.
The conversation has begun. It’s now up to every player in the scene to position themselves and strive to keep electronic music resonating with the same intensity, honoring its roots while looking toward the future.