Hot Take : Quand dire non peut briser une carrière
Dans la scène électronique, la frontière entre travail et fête n’a jamais été nette. On négocie dans un backstage, on discute projets en after, on rencontre des bookers sur un dancefloor éclairé au strobe. La nuit sert d’espace professionnel autant que de terrain social. C’est précisément dans ce flou que naît l’un des problèmes les plus répandus du milieu : les avances de personnes en position de pouvoir sur celles et ceux qui dépendent d’eux pour travailler.
Il ne s’agit pas ici d’agressions au sens juridique. Mais d’un système où des programmateurs, managers, producteurs, patrons de clubs, directeurs d’agence, journalistes influents, utilisent, parfois consciemment, parfois non, leur statut pour tester les limites, flirter ou insister. Ce n’est pas spectaculaire, mais c’est constant. Et cela suffit à structurer des carrières, ou à les endommager.
Une grande partie des femmes de la scène le vit régulièrement. DJs, programmatrices, photographes, journalistes, agents, bookeuses, community managers : toutes décrivent la même mécanique. Les avances ne viennent pas d’un pair rencontré en soirée, mais d’une personne qui détient un pouvoir réel sur leur trajectoire. Un oui peut ouvrir une porte. Un non peut la refermer. Le risque est omnipresent.
Dire non n’est jamais un simple non.
Dire non peut signifier la perte d’un gig.
Dire non peut signifier disparaître d’un lineup.
Dire non peut signifier être « blacklistée » dans un milieu minuscule où tout le monde se connaît.
Alors beaucoup apprennent à contourner. Esquiver. Sourire. “Laisser planer le doute”. Être aimable pour ne pas briser la relation. On devient diplomate malgré soi. On rit jaune. On minimise. Pas par naïveté, mais par lucidité. Parce qu’on connaît les conséquences.
Et cette dynamique n’est pas réservée aux rapports hétérosexuels. Dans la scène queer, elle existe aussi. Entre hommes gays où la hiérarchie se structure dans les mêmes réseaux. Entre femmes lesbiennes où certaines détiennent des postes d’autorité. Le désir ne change rien : c’est le pouvoir qui déforme la relation, jamais l’orientation.
Ce n’est pas une question de flirt. C’est une question de contexte. Tomber amoureux dans un club n’a rien de problématique. Ce qui l’est, c’est de draguer une personne qui dépend de vous pour exister professionnellement. Le consentement devient alors lié à la survie, pas au désir.
Le milieu électronique se revendique inclusif, libre, sécurisant. Pourtant, cette ambivalence contredit tout ce que la scène prétend défendre. Comment parler de safe space si une partie du public doit choisir entre son confort et sa carrière ? Comment prétendre à l’égalité si un « non » peut décider de l’avenir d’un artiste ?
Nous préparons un article complet avec des témoignages, anonymes ou non. Parce que ce problème ne se règle pas dans l’ombre. Parce que celles et ceux qui travaillent dans la nuit méritent de le faire sans devoir naviguer dans des zones grises imposées. Parce que la fête n’a jamais été pensée pour reproduire les rapports de domination du jour. Et parce que le consentement est, aussi, une question de pouvoir.
Enfin, il existe des signes silencieux et pourtant évidents qu’une personne n’est pas à l’aise : se figer, éviter le regard, répondre par des phrases neutres, se tourner vers un ami, serrer les bras contre soi, reculer d’un pas sans oser partir. Ces gestes parlent pour celles et ceux qui ne peuvent pas dire non.
La scène électronique mérite mieux que ces jeux d’influence. Elle mérite un espace où chacun et chacune puisse travailler, créer et danser sans stratégie de survie.

