L’inclusivité, c’est aussi une question d’argent
L’inclusivité est devenue un mot-clé dans le milieu des musiques électroniques. On le retrouve dans les programmations, les manifestes, les communiqués. On célèbre les line-ups plus divers, les clubs plus sûrs, les espaces plus mixtes. Mais il existe une forme d’exclusion dont on parle peu, plus silencieuse et plus systémique : celle de l’argent. Car l’inclusivité n’a de sens que si elle est aussi économique.
Aujourd’hui, danser ensemble coûte cher. Entre le ticket d’entrée, les transports, les consommations et parfois même l’hébergement, le prix d’une nuit peut dépasser celui d’un loyer journalier. Dans un contexte où l’inflation s’installe et où les salaires stagnent, beaucoup renoncent à la fête. Et avec eux disparaît une part de ce qui faisait la richesse du dancefloor : sa diversité sociale. On parle souvent de safe spaces, rarement de cheap spaces. Pourtant, les deux devraient aller de pair.
Ceux qui ont connu les débuts de la scène le savent : la fête n’a jamais été un privilège réservé. Elle est née des marges, des minorités, de ceux qui n’avaient pas grand-chose mais voulaient créer ensemble. Les clubs et festivals étaient des lieux d’émancipation, pas des vitrines. Aujourd’hui, certains événements se vendent comme “ouverts à tous” alors que leurs prix d’entrée excluent une grande partie du public qu’ils prétendent représenter. Cette contradiction n’est pas anecdotique : elle menace la vitalité même de la scène.
Mais des alternatives existent. À Dortmund, le Tresor.West a montré qu’un autre modèle était possible. En lançant la campagne #SaveTheUnderground, le club a choisi de tester plusieurs formats pour préserver à la fois l’authenticité et la viabilité économique de ses soirées. Sous la bannière By the Community, for the Community, ils ont organisé des Community Nights gratuites, sans line-up annoncé, où l’entrée est libre et la programmation locale. Le principe est simple : se détacher des logiques de cachets astronomiques, reconnecter avec la scène de proximité et redonner la main au public.
Depuis la rentrée, le club a dû réintroduire un droit d’entrée pour certains soirs, mais il a maintenu ces Community Nights ouvertes à toutes et à tous. Mieux encore, il a mis en place une Soli-Kasse, une caisse solidaire qui permet à ceux qui n’ont pas les moyens de bénéficier d’un contingent de tickets gratuits chaque week-end. Un simple mail à l’équipe suffit. Et ceux qui figurent sur la guestlist sont invités à verser une petite contribution volontaire pour financer les prochaines entrées gratuites. Ce système, presque artisanal, prouve qu’on peut conjuguer équité et économie. Que l’inclusivité peut se traduire par des actes concrets, pas seulement des slogans.
Il ne s’agit pas de pointer du doigt les clubs ou les artistes qui peinent déjà à survivre, ni d’imposer la gratuité partout. Mais de réfléchir à d’autres formes d’équilibre. Des tarifs solidaires, des prix dégressifs, des formats diurnes moins coûteux : tout ce qui permet de préserver une diversité de publics nourrit la scène plutôt que de la fragiliser. L’enjeu n’est pas seulement financier, il est culturel. Une scène composée uniquement de ceux qui peuvent payer perd son essence.
Rendre la fête accessible, c’est lui rendre son pouvoir. La musique électronique s’est construite sur l’idée que chacun pouvait y trouver sa place. Si l’on veut continuer à parler d’inclusivité, il faut l’entendre dans toutes ses dimensions : sociale, politique, économique.
Parce qu’au fond, l’inclusion ne commence pas à l’entrée du club. Elle commence à la billetterie.

