Night Out #1 – RDV en terre Hardtechno : chronique de la « nouvelle EDM »

Sous les néons violets et les kicks martiaux, la hardtechno attire une jeunesse en quête de transe et d’appartenance. Mais en son sein, certains visages et comportements rappellent que l’underground n’est pas toujours synonyme de liberté. Chronique en soirée Hardtechno.

Il n’y a pas de queue ou presque ce jeudi soir au NOCT à minuit. À l’entrée, la sécurité me demande si j’ai ma place. Elle la scanne et me laisse entrer. Devant moi, un groupe de trois jeunes filles, autour de la vingtaine, trépignent d’impatience « d’être devant le son » pendant que le deuxième rideau de sécurité fait sa fouille.

Passé un long couloir fortement illuminé de néons violets, j’arrive sur le dancefloor. Ni une, ni deux, j’enfile mes bouchons d’oreilles. Les quelques danseurs.euses qui occupent l’espace, bougent frénétiquement. J’avoue être assez surpris de la diversité vestimentaire des profils qui occupent le dancefloor. Certainement victime de mes préjugés, je m’attendais à une certaine homogénéité des styles. Or, même si certains étaient vêtu dans ce style punk/métal/noir/fétiche propre à la hard techno, iels n’étaient pas majoritaire.

Dans le ‘booth’, la DJ, qui mixe avec une cagoule brillante façon boule disco, et elle ne fait pas dans la dentelle : un son rapide, puissant et trancy, typique de la hardtechno fait vibrer nos tympans. Quelques peu brusqué par l’intensité de la musique en début de soirée devant un dancefloor à moitié vide, je file au bar prendre un demi de bière -à un prix correct- et je vais fumer une cigarette dans le fumoir extérieur.

« Le problème, c’est quand il y a beaucoup de monde. »

Sur la route du dancefloor au fumoir, je note une communication RDR accrochée au mur plutôt original. « Le tee-shirt, tu porteras » lis l’un des flyers, illustré comme les autres avec des personnages aux allures de dessins animés.

Arrivé au fumoir, j’entame la conversation avec un jeune homme, dont l’univers stylistique laisse peu de doutes : il est un habitué des soirées hardtechno. Homme blanc au habits larges et noirs, lunettes noires avec des pics en métal visées sur la tête.

Après quelques minutes de « small talk », je mets les pieds dans le plat : « quel regard portes-tu sur la scène hardtechno actuelle ? As-tu écho des soucis liés à cette scène dont parlent les médias et autres acteurs des musiques électroniques ? »

« Le problème, c’est quand il y a beaucoup de monde. Forcément, les chances d’avoir des comportements problématiques sont décuplés. Il y a des relous partout, mais on se protège entre nous. Dans mon équipe, il n’y a pas de misogyne ou de raciste, au contraire », assure notre interlocuteur.  

Circulez donc, il n’y a rien -ou presque- à voir.

J’insiste alors : Si ces phénomènes sont aussi marginaux, pourquoi des lieux hardtechno sont-ils aussi souvent épinglés pour des comportements jugés problématiques à l’échelle des musiques électroniques et au-delà ? Nous parlons ici d’inclusivité sur les line-ups, de questions de gratification instantanée (sets de moins d’une heure, tiktok techno…), d’oppression des minorités sur le dancefloor, voire -et c’est certainement le point le plus noir- de présence d’éléments d’extrême-droite.

Plus encore, pourquoi des clubs changent de nom et d’identité pour se défaire d’une image, si ces problèmes sont à la marge ? Ce sont les choses qui bougent justement dans le bon sens me fait-on savoir. Je prends donc acte et continue ma soirée.  

Précisons qu’au sein des musiques électroniques, ces schémas ne sont pas propres à la scène hardtechno, mais elle est le plus souvent surreprésentée quand ces sujets sont évoqués. En mars, Streetpress avait notamment rendu compte dans un article complet, du niveau de pénétration de la sphère incel/muscu/extrême-droite dans la scène hardtechno à l’aune d’un scandale qui avait vu des « go-muscu » ou autres « gormitis » chanter la marseillaise, drapeau français et croix de lorraine sur les épaules, alors qu’ils faisaient la file pour entrer dans un célèbre club techno/hardtechno parisien.   

« On a déjà eu des problèmes avec toi »

À mon retour sur le dancefloor, le DJ a changé, et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il vit sa musique avec passion. Ça tape encore plus fort et c’est encore plus intense dans les mélodies, ce qui est assez difficile pour moi, car je ne suis vraiment pas sensible à ces sonorités. Je reste toutefois agréablement surpris par l’esprit bon enfant, sympathique et dansant qu’il y a parmi les danseurs. Je ne vois presque pas de téléphones – un fait assez rare pour être remarqué.

Après avoir passé un peu de temps sur le dancefloor, je croise alors la seule femme noire de la soirée. Je l’approche et lui demande si je peux lui poser quelques questions dans une démarche journalistique. Je nous prends à boire au bar, et nous filons au fumoir afin de pouvoir échanger.   

Et c’est un tout autre son de cloche que ma précédente conversation. « Je sens que je sors du lot. Je sens qu’on me regarde plus ou différemment », affirme-t-elle d’emblée. Pire encore que cette marginalisation par le regard ou ce fétichisme, notre interlocutrice me relate des phénomènes que je n’aurais pas cru possibles dans des scènes underground en 2025.

« Le plus troublant pour moi, c’est qu’on me confond souvent avec d’autres femmes noires « locksées » (NDLR : qui ont des locks, style de coiffure répandue au sein des communautés noires). Des mecs -la plupart du temps des mecs- viennent me voir et me demandent si je ne suis pas une autre personne noire qu’iels connaissent », me confie-t-elle.

Je note avec étonnement la manière dépassionnée qu’elle a de me parler de ces épisodes par rapport au niveau de violence de l’agression. Je comprends que ce témoignage n’a rien d’extraordinaire pour elle. Elle en a vu d’autres : la sécurité de certains lieux, sensée être là pour protéger, et mettre en confiance toustes les participants à une soirée sans distinction de couleur, d’orientation sexuelle ou de sexe, se rendent parfois coupable d’un système qui marginalise. Notre interlocutrice poursuit : « à l’entrée d’une soirée hardtechno, un videur m’a déjà dit ‘on a déjà eu des problèmes avec toi’ » alors que celle-ci ne s’était simplement jamais rendu à cette soirée. La sécurité l’avait confondu avec une autre personne noire.  

À l’aune de ce témoignage je repense alors à la vacuité de certains propos que j’ai entendu un peu plus tôt dans la soirée et mesure la marge qu’il reste à tous les acteurs, y compris nous médias, face à l’urgence de la situation et aux valeurs que nous clamons collectivement.

By Hakim Saleck