Quand la house efface ses voix : de Martha Wash à Rowetta
La house n’a jamais été seulement une affaire de boîtes à rythmes. Elle est née dans les clubs noirs et queer, nourrie par le gospel, la soul, le disco. Ce sont les voix qui ont créé les hymnes. Et pourtant, encore et encore, ces voix ont été effacées, volées, ou remplacées par des mannequins en playback à la télévision. Trente ans de culture club racontent la même histoire : la gloire et le silence. Et ça continue même aujourd’hui, avec l’affaire Rowetta à lire plus bas.
Martha Wash, l’icône invisible
Martha Wash, moitié du duo The Weather Girls, est devenue la victime la plus célèbre de cet effacement. À la fin des années 80, elle enregistre des démos pour le groupe italien Black Box. Ses voix sont conservées sur six titres de l’album Dreamland (1990), dont “Everybody Everybody”, mais elle n’est pas créditée. Sur scène et dans les clips, c’est la mannequin Katrin Quinol qui mime ses parties (Wikipedia). Wash poursuit en justice, obtient un règlement financier et impose le crédit sur les rééditions.
L’histoire se répète avec C+C Music Factory : “Gonna Make You Sweat (Everybody Dance Now)” (1990) repose sur la voix de Wash, mais dans le clip c’est Zelma Davis qui la mime. Après des procès, Sony est contrainte d’ajouter un avertissement sur les vidéos MTV reconnaissant Wash comme la véritable chanteuse (Stereogum).
Loleatta Holloway et le cri volé
1989 : des producteurs italiens sortent “Ride On Time”. Numéro un au Royaume-Uni. Mais la voix n’est pas la leur : elle est prélevée sans autorisation sur “Love Sensation” (1980) de Loleatta Holloway. Après une action en justice, le morceau est réédité avec la voix de Heather Small.
Jocelyn Brown et la phrase qui a fait le tour du monde
Le carton de Snap! en 1990, “The Power”, repose sur la phrase “I’ve got the power !”. Directement samplée de “Love’s Gonna Get You” (1985) de Jocelyn Brown. Aucun crédit au départ. Après des batailles juridiques, ses droits sont reconnus (Discogs).
Les survivantes : Robin S., Crystal Waters, Ultra Naté
Certaines ont réussi à résister à l’effacement. Robin S. avec “Show Me Love” (1990/92), remixé par StoneBridge, devenu l’hymne house par excellence (DJ Mag). Crystal Waters avec “Gypsy Woman” (1991), dont le refrain hypnotique “la da dee, la da da” est devenu un mantra mondial (Billboard). Ultra Naté avec “Free” (1997), devenu un hymne queer de la liberté (NME). Leurs noms ont tenu, mais non sans lutte.
Rowetta, une blessure contemporaine
Le débat ne concerne pas seulement les années 90. Récemment, Rowetta, chanteuse de Manchester et membre des Happy Mondays, a affirmé que c’était sa voix sur le mashup culte “Show Me Love” (fusion de Be de Steve Angello & Laidback Luke avec la ligne vocale). Pourtant, la sortie officielle de 2009 crédite uniquement Robin S. (Discogs).
Sur Instagram, Laidback Luke a répondu : « I’ve always wanted people to know it was you Rowetta, spread the word! »
Mais Hardwell, souvent associé au morceau pour l’avoir joué en live, a rétorqué : « I never used your voice… it was just a bootleg with Show Me Love included in ‘Be’. »
Cette contradiction dit tout. Dans la culture club, les bootlegs circulent, les DJ se les approprient, les sorties officielles simplifient les crédits. Les voix se perdent dans le flou.
Héritage
De Wash à Rowetta, le schéma est clair. Les voix des femmes noires ont façonné la house, mais trop souvent elles ont dû se battre pour être nommées. Ce ne sont pas de simples anecdotes : elles révèlent un déséquilibre de pouvoir où les producteurs dominent la lumière et les chanteuses restent dans l’ombre.
Sans elles, il n’y a pas de house. Pas d’hymnes. Pas de mémoire collective. Seulement des beats laissés sans voix.

