À chaque fois que j’entends le nom d’Avicii, deux courants se bousculent en moi. D’un côté, la flamme de mes années étudiantes, quand ses tracks accompagnaient chaque fin de soirée et m’ouvraient la porte d’une EDM que je croyais insouciante. De l’autre, l’ombre d’une tragédie, celle d’un artiste avalé par les rouages d’une industrie peu tendre avec ses talents.
Ce documentaire, je l’ai abordé avec un double regard : celui de la gamine qui dansait sur « Levels » sans arrière-pensée, et celui de la professionnelle qui observe et subit le business depuis dix-sept ans.
Voici donc mon avis, quelque part entre la nostalgie et le recul nécessaire pour décrypter le destin d’un artiste parti trop tôt.
Critique : Avicii, la rançon d’un business dévorant
« J’étais bien plus heureux avant de devenir célèbre qu’après. »
— Tim Bergling, dans I’m Tim
Le documentaire I’m Tim sur Netflix présente, en apparence, un portrait tendre d’Avicii : celui d’un jeune talent, entouré d’amis et de collaborateurs soucieux de son bien-être. Pourtant, à l’écran comme en coulisses, on devine la mécanique d’une industrie dont l’ambition semble souvent supplanter la santé de ses artistes. Les témoignages filmés nous rappellent que Tim, loin d’être un adepte des nuits sans fin, s’est retrouvé happé dans un système plus mercantile que créatif.
« J’acceptais tout… Je ne savais pas qu’on pouvait jouer le lundi, mardi, mercredi, jeudi, vendredi, samedi et dimanche. »
— Avicii, dans le documentaire
Les propos d’Ash Pournouri – manager d’Avicii – à l’IMS Ibiza mettent en évidence ce décalage. Interrogé frontalement par Seth Troxler (DJ et producteur critique envers l’EDM mainstream) au sujet du « Pay to Play », de la répartition des droits (50/50) et de la légitimité artistique, Ash se défend en affirmant que « Tim est le main producer », tandis que lui n’intervient qu’en tant que « executive producer ». Les doutes de Troxler, qui va jusqu’à évoquer le spectre d’un « Milli Vanilli » moderne, pointent la controverse : dans quelle mesure l’immense succès d’Avicii repose-t-il sur un savant marketing et des pratiques contestables ? Ash rétorque qu’ils ne cherchent qu’à « exposer la musique à un large public », tout en maintenant l’identité énergique et mélodique propre à Tim.
« Nous ne disons pas à tout le monde de faire comme nous… nous faisons ce que nous aimons, et si cela plaît, nous sommes fiers. »
— Ash Pournouri, IMS Ibiza
Cette confrontation publique révèle à quel point l’EDM peut être tiraillée entre l’aspiration créative et la logique du show-business. Avicii, artiste assez peu porté sur l’exubérance, se retrouve pourtant pris dans un tourbillon de tournées, de deals publicitaires et de pressions en tout genre. Alors que le documentaire veut mettre l’accent sur l’hommage et la dimension humaine, certaines séquences laissent entrevoir que tout le monde – en particulier les promoteurs et quelques « amis » opportunistes – a profité de l’ascension fulgurante de Tim, au détriment de sa santé mentale.
« Je veux être libre de toutes ces idées préconçues sur ce que la vie devrait être. »
— Avicii, dans le documentaire
La tragédie de Tim Bergling devrait servir d’avertissement à l’industrie. À mesure que la scène électronique (de l’EDM à la techno la plus pointue) s’enfonce toujours plus dans le mercantile, on s’interroge : combien d’autres carrières seront sacrifiées sur l’autel de la rentabilité ? Les propos d’Ash à l’IMS Ibiza, tout comme le visage fatigué d’Avicii dans le film, rappellent la frontière ténue entre l’exaltation d’un dancefloor et la détresse que vivent ceux qui l’animent. Sans remise en question – qu’il s’agisse des pratiques de « Pay to Play » ou de la répartition des crédits et des cachets –, d’autres talents pourraient bien se consumer à leur tour.
Malgré tout, une forme de nostalgie imprègne ce récit. Comment concevoir qu’un artiste capable d’insuffler tant de joie sur le dancefloor—et que ses pairs décrivaient comme profondément généreux—ait pu sombrer dans une telle détresse ? De la même manière que la musique d’Avicii a illuminé certains des moments les plus heureux de nombreuses vies, la prise de conscience collective peut, et doit, provoquer un sursaut dans l’industrie. Si nous, public, nous montrons attentifs aux pressions incroyables subies par les artistes, nous pouvons aider à repenser un système qui brise trop souvent le mental de ceux qui créent… tout en continuant à générer des profits colossaux.
En fin de compte, I’m Tim témoigne à la fois de l’immense génie de Bergling et des dérives d’un système où le succès se mesure trop souvent à l’aune du profit. La rencontre entre Seth Troxler et Ash Pournouri est un indice supplémentaire de cette fracture : Avicii, parfois réduit au simple rôle de « marque », reste pourtant le principal créateur de son œuvre.
Hélas, dans ce monde où le dancefloor scintille, la réalité des coulisses peut se révéler mortifère si les acteurs du milieu ferment les yeux sur leurs propres responsabilités.