C'est quoi une VJ?

La VJ (Video Jockey) crée et mixe des visuels en temps réel pour des concerts, festivals et soirées. Elle synchronise vidéos et animations avec la musique pour une expérience immersive. Maîtrise des logiciels vidéo, sens artistique et réactivité sont essentiels pour ce métier à la croisée de l’art et de la technologie.

Notre éditorial en audio

INTERVIEW

Hello Camille ! Peux-tu te présenter en quelques mots ?


Salut Laure ! Moi, c’est Camille Grigaut, aussi connue sous le pseudonyme sheglitchr. Je suis une artiste visuelle, VJ, technicienne et musicienne basée à Paris. J’ai 30 ans et j’évolue aussi au sein du collectif beLow. On fait de la scénographie, de l’art vidéo et on a toute une partie label.
Après avoir beaucoup jonglé entre plusieurs casquettes, j’ai finalement tout plaqué pour me consacrer à 100 % à mes projets artistiques. C’est un tournant dans ma carrière et je suis super excitée par ce changement. Mon univers gravite autour du glitch art, de l’analogique et de l’expérimentation visuelle. J’aime mêler les technologies de différentes époques.

Quel est ton parcours pro ?


Après le lycée, j’ai fait deux mises à niveau en arts appliqués, une à Paris, l’autre à Nantes. Le but était de devenir illustratrice pour des livres jeunesse, mais j’ai vite réalisé que l’enseignement classique n’était pas fait pour moi. D’un côté, il y avait des écoles trop orientées business, de l’autre, des écoles trop compétitives. Cela ne correspondait pas du tout à ma vision de l’art. Après tout ça, j’ai décidé de me lancer toute seule dans des projets artistiques. Je me suis financée en travaillant dans l’animation périscolaire pendant dix ans, ce qui m’a permis de vivre tout en développant mes créations en parallèle. Maintenant, je suis intermittente du spectacle et je travaille pour des théâtres et dans l’événementiel en plus de continuer à développer mon projet artistique.

Comment as-tu découvert la musique électronique ?

Grâce à mes parents, la musique a toujours été omniprésente. Que ce soit dans le salon, la cuisine, la salle de bain, dans chaque pièce, il y avait toujours de quoi écouter de la musique. Ils écoutaient et écoutent de tout : jazz, rock, musique classique, etc. Même si la musique électronique n’était pas particulièrement présente j’ai été bercée par une curiosité naturelle pour tous les genres. C’est quand j’ai commencé à faire du VJ que j’ai découvert ce monde, un peu par hasard au départ. Et en plongeant dans la scène, je me suis rendue compte que la musique électronique, avec son approche hybride, me correspondait totalement. Ce milieu est tellement riche et diversifié que j’ai été charmée.

Intègres-tu parfois des éléments aléatoires ou contrôles-tu chaque détail de tes créations ?

Je suis un peu control freak, j’ai tendance à ne pas laisser énormément de place au hasard dans mes façons de travailler sauf si c’est ce que veut l’artiste ou quand on est en roue libre avec beLow. J’ai joué avec Max Becq dernièrement, un artiste vraiment inspirant qui m’a fait complètement confiance sur le rendu qu’on aurait en live.
On s’est dit “Cette performance sera sans filet, on prend des risques”, alors je suis sortie de ma zone de confort et j’ai pu improviser en live à ses côtés et ça s’est super bien passé.

Quels outils ou logiciels utilises-tu ?

Je suis une grande adepte de l’analogique, ça fait partie de mon identité visuelle. J’utilise des caméras anciennes, des mixeurs vidéo vintage, des boîtiers glitchs analogiques et des télévisions cathodiques pour mes créations. Plus récemment, je me suis intéressée au modulaire vidéo. C’est une discipline super excitante, qui me permet de repousser mes limites et de créer des visuels organiques, presque vivants en direct. Quand je me sens prête à explorer des chemins plus numériques, j’utilise des outils comme Resolume ou Blender mais mon objectif reste de m’éloigner des ordinateurs le plus possible, pour garder ce côté brut et instinctif qui me stimule plus que tout.

Tu insistes souvent sur l’importance des collaborations. Tu peux nous en parler ?

Absolument ! J’ai eu la chance de collaborer avec des artistes incroyables tels que Fasme, Pureblast, Max Becq, Schematic Wizard, ou encore le label Agora. Ces collaborations, qui se sont souvent faites dans le cadre de festivals ou de performances, m’ont permis de m’ouvrir à de nouveaux horizons artistiques. Travailler avec d’autres musiciens et artistes visuels, ça pousse à réinventer constamment son approche. Et ce qui est vraiment précieux, c’est que chaque projet est une rencontre, une interaction de visions, de savoir-faire et de sensibilités. Ces échanges font grandir le travail, lui donnent de nouvelles formes.

Trois créations dont tu es particulièrement fière ?

Le clip There’s Touch pour Kuss sorti chez Agora Records : C’était un projet très stimulant. J’ai eu l’occasion de filmer les plans d’Armandine Chasle qu’on voit dans le clip et j’ai eu carte blanche pour intégrer une part de réflexion personnelle et des éléments visuels assez expérimentaux. Chaque image est pensée comme une sorte d’écho du son, se voulant parler des thématiques du corps et de l’acceptation.

Le clip Blood de Melatonin : Pour ce projet, on a utilisé un énorme écran LED comme unique source d’éclairage, ce qui m’a forcée à m’adapter à une nouvelle contrainte technique. L’équipe m’a fait confiance pour que je travaille complètement différemment, en full numérique. C’était une approche complètement nouvelle et stimulante pour moi.

Le clip World of Content de Pureblast : Ce projet a été très important dans ma démarche. L’idée était de travailler avec des télés cathodiques et des visuels en direct et de tirer un clip du VJ Set que j’ai fait ce soir-là. Ce format très analogique a créé un résultat à la fois brut et organique, très proche de ce que je cherche à accomplir dans mon travail : un équilibre entre technologie et imperfections.

Comment vois-tu l’avenir du glitch art avec l’IA et les NFT ?

L’IA est un outil fascinant, j’avoue, mais pour moi, ce n’est qu’un support parmi d’autres. Je pense que l’IA peut enrichir nos processus créatifs, mais elle ne doit pas remplacer le rôle de l’artiste. Ce qui est intéressant avec l’IA, c’est qu’elle permet une forme de création automatique, ça m’a permis plusieurs fois de développer des idées ou d’illustrer des propos d’une manière complètement nouvelle, mais l’humain reste essentiel pour injecter du sens, de la poésie, et une intention.  En ce qui concerne les NFT, ça ne m’intéresse pas vraiment. Je suis consciente qu’ils apportent une nouvelle forme de monétisation dans l’art, mais je trouve que le système est trop spéculatif et centralisé. En plus, le côté éphémère et l’impact écologique que ça représente  font que vraiment, j’y accorde peu d’attention. Loin de moi l’idée de juger les artistes qui s’y plongent, mais personnellement, je préfère garder une approche plus tangible et plus ancrée dans le réel.

As-tu des anecdotes sur tes gigs ?

Oui, j’en ai quelques-unes ! L’un de mes premiers gigs en tant que VJ était sur un festival près de Montélimar en 2016/2017. À l’époque, l’esthétique glitch n’était pas du tout aussi populaire, encore moins en analogique. Alors, deux personnes sont venues me voir, un peu inquiètes, pour me dire qu’il y avait un gros problème de câblage avec le vidéo projecteur et que ça “buggait”… Alors qu’en effet c’était l’effet recherché. Depuis, cette anecdote est devenue une blague récurrente.

Une autre fois, en mai 2023, j’ai été invitée par Fémur au Motion Motion, un événement où j’ai performé aux côtés de Swooh. Ce qui était génial, c’est qu’on était sur scène, avec les VJ et les musiciens, ce qui est assez rare. Mais, de mon côté, j’étais tellement concentrée et stressée que je n’ai pas bougé, je suis restée un peu figée derrière mes machines. Un membre du public a dit, tout haut : “Mais qu’est-ce qu’elle fait ? Elle répond à ses mails ou quoi ?”

Quelle est ta relation avec les réseaux sociaux ?

Les réseaux sociaux, pour moi, ne sont pas une extension naturelle de mon art, mais bien un outil qui m’a ouvert et qui peut m’ouvrir des portes. Je ne suis pas vraiment à l’aise avec l’idée de devoir tout documenter en temps réel, tout partager. C’est un peu une pression, et j’avoue qu’après le confinement, je me suis laissée influencer par cette idée de créer pour être “publiable” et “likable”. Mais j’ai pris conscience de ça et j’ai appris à redresser la barre. C’est génial de pouvoir se faire connaître grâce aux réseaux, mais je trouve qu’on est trop souvent poussées à chercher des likes et des approbations au lieu de se concentrer sur l’authenticité de notre travail. Aujourd’hui, j’essaye de trouver un équilibre entre partager mes projets et rester fidèle à mes intentions créatives, sans tomber dans la course aux vues et aux likes.

Quel message veux-tu transmettre à travers ton art ?

Je veux avant tout véhiculer des messages de tolérance, d’acceptation, mais toujours dans l’idée de susciter la curiosité et la rêverie. L’art, pour moi, est un terrain de réflexion et de questionnement, et j’ai envie que mon travail fasse naître des interrogations plutôt que de simplement imposer une esthétique. Je pense qu’avec le temps, mon travail deviendra de plus en plus politisé. Il est essentiel pour moi de ne pas rester cantonnée à l’esthétique pure, mais de creuser aussi des thématiques sociales et sociétales. Il est important de provoquer, de déranger parfois, mais toujours dans un esprit d’ouverture et de recherche.

Et sur la place des femmes dans les métiers techniques ?

Il y a indéniablement plus de femmes dans la technique qu’avant, mais on est encore loin de la parité. Personnellement, j’ai failli tout lâcher à plusieurs reprises, notamment à cause de la vibe beaucoup trop masculiniste du milieu. C’est encore souvent un terrain où il est difficile pour les femmes de trouver leur place. Même quand je suis cheffe de projet, on aura tendance à poser les questions techniques aux hommes autour de moi. Ce genre de comportements, même sous des formes plus subtiles, est encore bien ancré. Mais malgré tout, je reste optimiste. Plus il y aura de femmes visibles et audibles dans ce milieu, plus la dynamique pourra évoluer. Il faut absolument continuer à ouvrir la voie aux autres.

Si tu devais parler à des jeunes femmes de ton métier, que leur dirais-tu ?

Je leur dirais qu’il est essentiel de ne jamais se sous-estimer et de ne pas avoir peur de se lancer, même si le chemin semble semé d’embûches. L’univers de l’art et de la technique peut paraître intimidant, surtout quand on se rend compte que certaines portes sont encore plus difficiles à franchir en tant que femme, mais il ne faut pas se laisseri mpressionner L’important, c’est d’écouter sa passion et de croire en son potentiel. Dans ce métier, la diversité des visions et des expériences est une richesse. N’ayez pas peur de déranger, de bousculer les codes, de prendre des risques. Et surtout, il est crucial de ne pas avoir peur de remettre les gens à leur place quand c’est nécessaire. Il ne faut pas accepter d’être ignorée, sous-estimée, ou réduite à un rôle secondaire. Parfois, la peur de perdre une opportunité peut faire hésiter, mais il vaut mieux perdre une opportunité pour la sécurité que de se faire une place dans un environnement toxique. La scène évolue, et le spectacle est un domaine en constante transition. Il y a énormément de personnes bien intentionnées avec qui il est possible de bosser et qui ne cherchent pas à vous rabaisser. Entourez-vous de ces personnes-là. Le monde a besoin de voix nouvelles et de perspectives différentes, alors n’aie jamais peur de prendre ta place. Plus on est de femmes dans ce milieu, plus la scène devient inclusive et riche.

Comment peut-on faire si on veut bosser avec toi ? Quel est le process ? Tu as des tarifs pour les plus « petits » projets également ?

Si quelqu’un souhaite travailler avec moi, il suffit de me contacter directement, que ce soit par email, DM sur Instagram, ou via mon site. Je tiens à ce que chaque projet ait une approche humaine et personnelle, donc avant de m’engager, j’aime bien échanger avec la personne pour comprendre son univers, ses besoins, et comment on pourrait collaborer. Ce processus peut se faire de façon assez fluide, tout dépend du type de projet. On discute des objectifs, du concept, des contraintes techniques, et on établit ensemble le cadre de la collaboration.

En ce qui concerne les tarifs, j’adapte toujours en fonction du projet. Si c’est un petit projet ou une collaboration qui correspond à mon éthique, je préfère rester flexible, car je crois qu’il est important de soutenir aussi les jeunes créateurs ou ceux qui n’ont pas forcément le budget. Parfois, on peut échanger des services ou trouver un moyen de co-créer sans que ce soit trop contraignant financièrement pour l’un ou l’autre. Je préfère laisser la question ouverte. Ça ne veut pas dire que j’accepte de travailler gratuitement, mais je préfère adapter en fonction des projets.

Dernier mot :

Le VJ, l’art vidéo, la technique pour moi c’est avant tout une aventure collective. Si vous avez une idée, un projet, ou juste envie qu’on créer quelque chose ensemble, n’hésitez pas à me contacter. J’aime travailler avec des gens qui ont envie d’explorer de nouvelles choses et de faire naître des projets originaux. Le plus important, c’est de s’amuser tout en créant quelque chose de significatif.