La hard techno est-elle le nouvel EDM ? Et pourquoi elle refuse de voir l’extrême droite dans ses soirées
Hier à la PEW (Paris electronic week), la conférence autour de la hard techno a fini par un peu déraper et nous inquiéter. Les voix se sont élevées, et l’ambiance s’est crispée. Je vais vous raconter.
Je précise : demain, je vous parlerai de la conférence où je suis intervenue sur MusicToo, et plus tard de celle sur ralentir à l’heure du capitalisme. Mais restons sur celle-ci.
EDM : un gros mot ?
D’abord, il faut se mettre d’accord : quand on parle d’EDM, on parle de la big room des années 2010. Et ce n’est pas une insulte. C’était une scène mainstream qui rendait les gens heureux, qui servait de marchepied vers d’autres musiques. La conférence m’a donné le sentiment que certain·e·s intervenant·e·s n’avaient pas cette mémoire (iels étaient un peu plus jeunes aussi 🙂 ).
LESSSS, DJ et producteur·ice, expliquait qu’iel pouvait se permettre, face au public hard techno, de jouer d’autres styles, sans être jugé·e. Mais c’est précisément ce que faisait l’EDM : mélanger pop, rap, country dans un grand tout euphorique.
Sets pré-enregistrés : une vieille histoire
Autre débat : les sets planifiés. SOMNIAC ONE a affirmé que les sets pré-enregistrés pullulaient dans des festivals comme Qlimax. LESSSS a ajouté qu’iel avait dû, comme d’autres, fournir sa tracklist en amont pour éviter les tracks qui se répètent. Résultat : pas d’improvisation, pas de lecture du dancefloor. Une performance, pas un set. Afrojack m’avait raconté exactement la même chose en interview à Electrobeach 2012. Le public de hard techno, comme celui de l’EDM hier, vient pour des morceaux, pas pour l’expérience du DJing.
Le sujet tabou : l’extrême droite
Puis est arrivé le point sensible : la présence de l’extrême droite. J’avais annoncé au modérateur, Tommy de Technopol que j’avais l’intention d’en parler (par transparence). Les réponses ont été désarmantes :
« Peut-être que c’est qu’en France. » par les intervenantes non francophones.
« Arrêtons la hate les uns envers les autres, tout le monde est bienvenu. » par les français.
Un déni total.
Quand Leah, animatrice belge sur GIMIC, a posé une question mêlant safety des femmes et extrême droite, la discussion a bifurqué, évidemment, sur les femmes et a occulté l’ED. J’ai alors décidé de poser ma question, un peu tremblante (bizarrement, jai beaucoup d’anxiété à parler en public, même si c’est mon travail) :
« Concernant la question sur l’extrême droite, vous avez mentionné “stop the hate”, mais la seule haine que je constate vient de l’extrême droite.
Nous sommes tous blancs ici, mais si vous parlez à des personnes noires ou LGBTQ, elles ne veulent pas être autour de ces gens parce que cela signifie qu’elles ne sont pas en sécurité.
Et je ne dis pas ça à la légère.
Je travaille avec d’autres journalistes sur la présence de l’extrême droite dans les soirées hard techno, et elle est là : dans le public, chez les promoteurs ou chez certains propriétaires de clubs.
Ne pensez-vous pas qu’affirmer plus clairement votre volonté de ne pas avoir ces personnes d’extrême droite dans vos soirées pourrait changer les choses ? »
La réponse ? Une forme d’agacement (ma question n’était pas une attaque personnelle mais une question de réflexion sur toute la scène hard techno en général) :
« Mais qu’est-ce que tu veux qu’on fasse concrètement ? Si on parle de ça, il faut parler de tout. »
Non. Justement non. Car ce problème a une conséquence immédiate : il rend invisibles ou vulnérables les minorités. Il y a des gens qui ne vont plus dans ces soirées car iels ne se sentent pas en sécurité ou pas les bienvenues.
Pourquoi il faut se positionner
Prendre position, ce n’est pas « exclure », c’est dire clairement : nous n’acceptons pas les idéologies qui menacent nos publics. Les mots sont déjà un filtre. Refuser de les prononcer, c’est entretenir le confort de celles et ceux qui peuvent se permettre de dire « tout le monde est bienvenu ».
Le public a d’ailleurs insisté : qui possède les festivals et agences hard techno ? Non pas qu’ils soient eux-mêmes d’ED, mais leur privilège les rend aveugles. Et tant qu’on continue à fermer les yeux, les personnes directement visées, queers, personnes racisées, savent qu’elles ne peuvent pas « faire la fête ensemble ».
La vidéo intégrale sortira bientôt. Il faudra l’écouter avant de critiquer. Mais une chose est sûre : le débat ne fait que commencer.

