Quand Meta efface la nuit queer
Ces derniers mois, deux collectifs majeurs de la nuit queer européenne, Replicant Events à Paris et Gegen à Berlin, ont été confrontés à la même réalité brutale : en quelques secondes, Meta peut effacer des années de travail culturel, sans avertissement ni explication.
Leur message est clair : quand Meta efface la nuit queer, ce n’est pas un accident technique, c’est un acte politique. Et il ne s’agit pas de cas isolés. À Hong Kong, le Mihn Club a lui aussi vu son profil supprimé pour avoir partagé des contenus queer. La censure dépasse les frontières, et révèle une tendance inquiétante : les espaces de fête et de culture queer sont systématiquement visés, alors même qu’ils devraient être protégés et valorisés.
Pour Replicant, tout a commencé par la suspension simultanée de deux comptes : @ForensicsParis, vitrine de leur soirée techno fetish, et @ReplicantEvents, le compte officiel de leur société de production. « Aucun contenu problématique n’avait été publié récemment, sauf un post affichant notre soutien au peuple palestinien », raconte Lenny, producteur et président de Replicant. « Nous recevons depuis des mois des attaques, des signalements abusifs, mais la suppression est intervenue précisément après cette première publication sur notre feed. En quelques minutes, les deux comptes avaient disparu. »
Mais l’attaque ne s’est pas arrêtée là. Suite à la suppression de @ForensicsParis, Meta a également effacé deux autres comptes liés à leurs événements (@TechNoireParis et @MarcheDrag), le compte artiste de Lenny (@GhostElektra) ainsi que les comptes personnels de Lenny et de son conjoint. « Cela confirme qu’il s’agit d’une attaque personnelle et ciblée », dénonce-t-il.
S’ils ont pu récupérer les comptes après appel, de nombreuses publications sont restées supprimées et les deux pages ont été shadow ban, privées de sponsoring et de visibilité. Le lendemain, @ReplicantEvents était de nouveau supprimé. « Nous comprenons désormais qu’il ne s’agit pas seulement de négligence, mais bien de discrimination », affirme Lenny. « Meta laisse prospérer des discours misogynes, racistes et homophobes, mais supprime nos contenus LGBTQIA+ sous prétexte de non-respect des règles. »
À Berlin, Gegen a vécu un scénario encore plus violent. « Nous avons reçu un email intitulé ‘Take action or lose access to gegenberlin’, qui exigeait des passeports, des selfies et des données sensibles », se souvient Fabio, fondateur du collectif. « Marius a soumis son identité, elle a été rejetée instantanément, et il a été déconnecté. En quelques minutes, non seulement le compte @gegenberlin a été définitivement supprimé, mais aussi nos comptes personnels – dont mon profil Facebook – sans même que nous ayons eu une seule chance de nous reconnecter. » Résultat : plus de 92 000 abonné·e·s perdus, huit ans d’archives culturelles effacées.
Dans les deux cas, les collectifs décrivent des échanges absurdes avec Meta : réponses contradictoires, renvois vers les Community Standards, refus de donner des raisons précises « pour des raisons de sécurité ». Aucun exemple concret de contenu « fautif » n’a été communiqué. « Ils se renvoient le dossier de service en service jusqu’à ce qu’on abandonne », déplore Lenny. Fabio partage le même constat : « Nous avons demandé une révision humaine, mais on nous a répété que les comptes avaient été supprimés ‘correctement’. À aucun moment nous n’avons eu un exemple de ce que nous aurions violé. »
Les conséquences sont immédiates et lourdes. Les collectifs ont perdu leurs principaux canaux de communication, plongeant leurs communautés dans la confusion, parfois persuadées que les projets avaient cessé d’exister. La promotion des événements et la billetterie ont été gravement affectées. « Financièrement, cela nous met en danger. Organisationnellement, cela nous oblige à reconstruire sous pression. Réputationnellement, cela nous efface brutalement, surtout quand l’accusation portée par Meta a le poids d’un délit criminel », explique Fabio.
Ce que révèlent ces témoignages, c’est un double standard flagrant. Les esthétiques fetish, le latex, le cuir, tolérés et célébrés sur les tapis rouges ou dans les magazines de mode, deviennent « trop suggestifs » dès qu’ils apparaissent dans un contexte queer. « Le contenu queer et fetish est systématiquement sanctionné, alors que les marques et célébrités mainstream utilisent les mêmes codes sans aucune conséquence », souligne Fabio. Pour Lenny, il s’agit d’une hypocrisie manifeste : « Nous nous réapproprions des mots et des esthétiques pour les détourner, mais dès que nous le faisons, Meta nous censure. Pendant ce temps, les insultes de l’extrême droite restent en ligne. »
Aujourd’hui, les actions en justice ne sont plus une simple option envisagée : elles sont déjà en cours. « J’ai pris un avocat ce matin », précise Lenny. Son conseil estime qu’il est crucial d’obtenir le relais et le soutien des médias dans les mois à venir, convaincu que cette affaire n’est que le symptôme d’une dérive autoritaire de Meta. Gegen est également représenté par un avocat, arguant que les accusations et procédures de Meta violent le droit européen.
En parallèle, ils appellent à la solidarité. « La visibilité et la solidarité sont cruciales », insiste Fabio. « Les médias doivent montrer comment cette modération biaisée détruit un travail culturel. La communauté doit nous suivre sur d’autres canaux, relayer, et rappeler que la nuit queer est une part intégrante de la vie culturelle, pas quelque chose à effacer. »
Mais la dépendance reste forte : aucune autre plateforme n’offre la portée d’Instagram. Replicant et Gegen diversifient leurs canaux via Telegram, Bluesky ou leurs propres sites, mais la question dépasse l’urgence. « Les communautés queer doivent construire des espaces indépendants où leur survie ne dépend pas d’algorithmes biaisés et instrumentalisés », conclut Fabio.
Leur message est clair : quand Meta efface la nuit queer, ce n’est pas un accident technique, c’est un acte politique. Et il ne s’agit pas de cas isolés. À Hong Kong, le Mihn Club a lui aussi vu son profil supprimé pour avoir partagé des contenus queer. La censure dépasse les frontières et révèle une tendance inquiétante : les espaces de fête et de culture queer sont systématiquement visés, alors même qu’ils devraient être protégés et valorisés.

