Hot Take : Stop au mythe de la bienveillance universelle en soirée
La bienveillance en soirée, c’est quand ça vous arrange
Le mot “bienveillance” s’est imposé dans le vocabulaire de la fête. On l’entend partout. On le lit sur les descriptions d’événements. On le retrouve dans les discours des DJs, des influ, des collectifs, des clubs, des médias. Un mot devenu refuge, paravent, outil marketing, mantra universel.
La bienveillance n’est devenue populaire qu’à partir du moment où les nouveaux publics sont arrivés après le Covid, dans une scène déjà fragilisée, déjà marquée par des violences anciennes, mais dont la parole, enfin, commençait à se libérer grâce aux assos de prévention, aux militant-es, aux collectifs queer, aux bénévoles RDR qui ont documenté, éduqué, et mis des mots là où les aurres se taisaient.
L’industrie, elle, commence à brandir “la bienveillance” comme une pancarte universelle. Sauf que cette pancarte est rarement tenue par les bonnes mains.
On vous explique pourquoi.
La bienveillance comme outil de com’
Regardez bien dans quels contextes ce mot apparaît.
Il y a des clubs ou organisateurs qui le mettent dans leur description, leur charte, leurs posts, alors que personne dans l’équipe n’a été formé aux violences sexistes et sexuelles. Aucune formation en RDR. Aucun protocole. Rien. Mais “bienveillance” écrit sur un visuel suffit à masquer l’absence totale de compétences.
Il y a ceux qui tentent de se refaire une virginité morale, après des incidents graves, des scandales internes, des agressions étouffées.
Plutôt que de reconnaître, réparer, changer, on repeint tout en beiiiiiiige. “Bienveillance”, c’est pratique : ça évite la responsabilité.
Et puis il y a la version la plus insidieuse :
celle utilisée par les créateurs de contenu, certains médias, et une partie des DJs, non pas pour protéger les publics vulnérables, mais pour limiter la critique.
Souvenez-vous de la PEW.
Lorsqu’une question claire et légitime a été posée sur la présence de symboles d’extrême droite dans la hard techno, les réponses ont été les mêmes :
“tout le monde est le bienvenu”,
“il faut être bienveillant”,
“stop the hate”.
La bienveillance utilisée pour éviter le débat.
Pour ne surtout pas nommer les dangers et pour ne pas froisser le business model.
Une bienveillance à sens unique
Car soyons honnêtes :
quand on parle de racisme, la réponse est le silence.
Quand on parle de VSS, la réponse est le silence.
Quand on parle d’agresseurs encore bookés, la réponse est le silence.
Quand on parle de l’extrême droite dans les soirées, la réponse est le silence.
Avez-vous déjà vu une vague de DJs français prendre position publiquement sur la montée des idéologies fascisantes dans les clubs ?
Non.
Sur les violences sexistes et sexuelles dans leur milieu ?
Non.
Sur les bookers et propriétaires de clubs accusés de couvrir des agresseurs ?
Non.
En revanche, dès qu’on critique la médiocrité de certaines pratiques, le capitalisme qui ravage la scène, l’appropriation culturelle ou la gentrification du son, les mêmes se drapent immédiatement dans la “bienveillance”.Chaque fois qu’un vrai sujet surgit, la “bienveillance” est brandie comme un bouclier pour éviter d’assumer la réalité.
Quand on a dénoncé les vss dans la scène, une partie des organisateurs et DJs s’est réfugiée derrière la bienveillance de la “présomption d’innocence”, devenue soudain un argument à géométrie variable. Pas par souci de justice, mais pour continuer à booker les mêmes artistes, préserver les deals, éviter le conflit, protéger leurs intérêts.
Quand on a parlé de la montée de l’extrême droite dans les soirées, de ses codes, de ses réseaux, de son idéologie homophobe, transphobe, sexiste et raciste, ils se sont abrités derrière une bienveillance du “tout le monde est bienvenu”. Comme si accueillir tout le monde signifiait accepter ceux qui menacent directement la sécurité des autres.
Quand on a critiqué un système ultracapitaliste qui écrase la scène, celui qui propulse les influenceursDJs, les Nepos, les privilégiés qui brûlent les étapes, certains acteurs ont ressorti une bienveillance de façade : “ne les critiquez pas, ça génère du harcèlement”.
L’argument parfait pour ne jamais remettre en question les dynamiques de pouvoir, les injustices structurelles, ou l’impact réel de ces pratiques.
Dans tous ces cas, la “bienveillance” sert surtout à verrouiller le débat.
Elle protège les mêmes, évite les conversations difficiles et évite de tracer des lignes politiques, morales, sécuritaires.
Et surtout :
elle neutralise la critique, le seul outil dont dispose encore la communauté pour défendre sa propre culture.
Comme si demander un minimum d’exigence était un acte de violence. Comme si tenir un milieu responsable revenait à “créer de la haine”.
Comme si la seule haine visible n’était pas celle que subissent, quotidiennement, les femmes, les personnes queer, les personnes racisées, celles pour qui la soirée est rarement un endroit neutre.
La bienveillance, telle qu’elle est brandie aujourd’hui, n’est pas un outil de protection. C’est un bouclier pour les dominants.
La bienveillance n’est pas un tampon pour maintenir l’ordre établi… “Tout le monde est le bienvenu.”
Non. Pas quand “tout le monde” inclut des néonazis, des agresseurs, des harceleurs, des profils qui font fuir les minorités.
“Soyez bienveillants.”
Non. Pas quand la bienveillance sert à réduire au silence celles et ceux qui alertent, documentent, protègent.
“Arrêtons la haine.”
La seule haine dangereuse n’est pas celle qui critique le système. C’est celle qui s’exerce dans le système, en silence, nuit après nuit.
La vraie bienveillance ne protège pas les structures, elle protège les danseurs.
La vraie bienveillance, celle qui mérite ce nom, passe par :
– des formations,
– des protocoles,
– des prises de position claires,
– du courage,
– du refus,
– du soin réel.
Et cela, étrangement, n’est presque jamais ce qu’on entend par “bienveillance”.
Alors oui, la bienveillance existe. Mais c’est pas celle qu’on vous vend.
Pas celle qui demande de vous taire, de mettre vos traumas de côté, d’accepter la présence de personnes dangereuses “pour ne pas faire d’histoires”.
La bienveillance telle qu’on nous la sert est une injonction. La bienveillance dont on a besoin est une protection.

